Publié le 23.09.2022 | Texte: Eline Dehullu

La Biennale internationale d’architecture aura à nouveau lieu cet automne à Rotterdam. Pour cette dixième édition, une équipe interdisciplinaire de commissaires a été composée ; chacune et chacun d’eux porte un regard différent sur les thématiques spatiales d’aujourd’hui et de demain : Derk Loorbach (directeur de Drift et professeur en transitions socio-économiques à l’Erasmus Universiteit Rotterdam) pour sa vision sur l’écologie et la socio-économie, Peter Veenstra (Lola Landscape Architects) pour son savoir-faire en matière de paysages alimentaires et énergétiques, et les architectes Véronique Patteeuw (Associate Professor ENSAP Lille) et Léa-Catherine Szacka (Senior Lecturer University of Manchester) pour leur connaissance de l’histoire de l’architecture et l’approche que ce savoir leur confère.

Les commissaires sont partis du rapport du Club de Rome publié en 1972 par un groupe international et informel composé d’académiciens, de scientifiques, de personnalités politiques, de diplomates et d’industriels. S’inquiétant déjà à l’époque du devenir de la société humaine sur la Terre, ils formulèrent dans Les Limites de la croissance les dangers d’une croissance démographique exponentielle, de la production agraire, de l’épuisement des matières premières non renouvelables, de la production industrielle et de la pollution. Le rapport, qui avait créé un véritable séisme, a eu des conséquences considérables pour la prise de conscience au niveau mondial.

Tout juste cinquante ans plus tard, l’IABR 2022 revient sur le moment de cette prise de conscience. Sous la pression du changement climatique, It’s About Time aborde notamment l’urgence absolue de prendre sans plus tarder des mesures relatives à la sécheresse, aux inondations, à la pénurie des matières premières, aux inégalités sociales, au besoin de logement à prix abordable, à l’alimentation saine et aux soins de qualité. Mais la Biennale tente surtout de répondre à une question : comment l’architecture réagirait-elle aux urgences socio-écologiques si le temps était considéré comme un facteur crucial du processus de création ?

Comme point de départ, l’IABR identifie trois stratégies que le  concepteur peut mettre en œuvre dans l’indispensable transition sociale et spatiale : comme accélérateur, activiste ou bon ancêtre. Le concepteur-accélérateur relève le défi de l’urgence en ayant recours à la technologie intelligente et à la standardisation pour faire en sorte de pérenniser, voire d’améliorer les niveaux de vie acquis. Les smart cities et les bâtiments hybrides montrent comment la conception et le choix des matériaux permettent d’atteindre des performances énergétiques plus élevées.

Le concepteur-activiste veut changer l’ici et maintenant, et privilégie les initiatives « bottom-up » des collectivités locales. On parle ici de commons et de projets participatifs de petite ampleur, à l’échelle d’un quartier, avec une portée sociale importante.

Et pour terminer, le concepteur-bon ancêtre prône le ralentissement et se demande quel sera l’impact des interventions actuelles ou plus anciennes sur les générations futures. Dans l’esprit du travail de Roman Krznaric, il s’agit ici d’exemples de Seventh Generation Thinking, qui tiennent compte des sept générations futures, et de Cathedral Thinking, qui part de projets dont la réalisation s’étale sur plusieurs siècles et qui sont le fruit d’un engagement collectif à long terme.

L’exposition, qui se tient dans la fantastique ancienne centrale de gaz naturel de Ferro, présente à la fois des projets historiques, les meilleures pratiques d’aujourd’hui et les perspectives d’avenir sous l’angle des trois clusters thématiques susmentionnés. Dans la partie consacrée à l’accélération, on peut voir des projets high-tech, notamment un pavillon aménagé par Ippolito Pestellini Laparelli de 2050+. Les projets de la catégorie activiste sont répartis autour de l’installation des architectes parisiens d’Encore Heureux et de l’artiste Bonnefrite qui, avec leur Énergies Désespoirs, un monde à réparer, portent un regard durable sur l’Anthropocène, cette ère où le climat sur Terre et l’atmosphère subissent les conséquences de l’activité humaine. Le pavillon ancêtre, quant à lui, est un plaidoyer pour les qualités intrinsèques de la matérialité. Ici, Anupama Kundoo a rassemblé des installations tactiles dont la robustesse et la stratification garantissent qu’elles aient encore du sens pour les générations à venir.

Dans un second immeuble du Keileweg est présenté le travail de The Future Generation : des projets de fin d’étude d’étudiants néerlandais. Parallèlement à cela, un vaste programme de conférences, débats, ateliers et manifestations est proposé en marge de l’exposition. Y sont abordés des thèmes tels que la circularité, la biodiversité, les inégalités sociales (en lien avec le changement climatique), la matérialité, les nouvelles formes de collaboration et de modèles financiers.

Là où le Club de Rome conseillait de limiter la croissance, l’IABR explore des manières alternatives de croître. La Biennale est un « wake-up call », mais au lieu de présenter des scénarios pessimistes, elle montre de réelles possibilités de prendre un nouveau cap, plus radical, en direction d’un avenir viable : des transitions en profondeur, réalisables, qui amènent à un monde équitable et écologique, où la consommation et la production fournissent une contribution de qualité à l’humain et à la nature.

It’s About Time
10th International Architecture Biennale Rotterdam

When: 22 September – 13 November 2022
Where: Ferro, Keileweg, Rotterdam (The Netherlands)
Info and tickets: iabr.nl

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