Go Hasegawa
Amplitude et héritage
Go Hasegawa est une figure de premier plan du milieu architectural japonais. À la fois contemporain et enraciné dans la tradition du Japon, son travail a reçu de nombreux prix. A+ et Bozar l’ont invité à donner une conférence le 19 novembre au Palais des Beaux-Arts. En guise d’introduction, Carlo Menon s’est entretenu avec lui.
Carlo Menon: Monsieur Hasegawa, j’aimerais échanger avec vous quelques mots sur le contexte dans lequel s’inscrit votre travail. Disons que c’est à la fois une invitation à découvrir votre travail et une forme de question time anticipé, pour approfondir certains thèmes qui peuvent rarement être discutés lors d’une conférence. Un compliment d’abord : ce que j’apprécie particulièrement dans vos conférences est la spontanéité avec laquelle vous présentez vos projets ; vous en expliquez le processus de conception de manière très évidente, souvent avec ironie et humour, même quand les enjeux sont d’ordre constructif ou technique. Comment construisez-vous une conférence ?
Go Hasegawa: Parler d’architecture est une partie de mon métier. En présentant les projets je comprends moi-même de nouveaux aspects intéressants de ma pratique : je continue à creuser dans la matière du projet. Je ne donne jamais la même conférence, car je suis aussi influencé par l’espace et le comportement du public. Il s’agit bien d’un échange dans les deux sens, pas d’une communication déjà écrite. J’apprécie quand le public réagit à ce que je montre. C’est pareil avec les projets, en effet : mon approche dépend des conditions autour. Je ne réplique pas des solutions toutes faites, je ne cherche pas à définir un style personnel.
Carlo Menon: Est-ce que cette facilité à parler d’architecture est liée à votre activité d’enseignant à Tokyo, puis à Mendrisio et maintenant à Harvard ?
Go Hasegawa: Je ne sais pas si je suis un bon enseignant ou pas, mais c’est très intéressant de penser avec des personnes plus jeunes, avec beaucoup de curiosité et d’ambition. C’est un contexte très différent de la pratique professionnelle, il est beaucoup plus libre. J’interprète donc mon rôle comme étant celui de garder ouverte leur imagination, la possibilité de prendre des risques et de tout changer s’il le faut, au lieu d’encourager un « atterrissage » facile lors de la remise finale. Selon moi, cette agilité de l’esprit est plus utile pour un architecte que la satisfaction d’arriver à un projet parfaitement représenté.
Carlo Menon: On dirait que cette approche non systématique est le miroir de votre pratique du projet. Vous présentez chaque projet d’une manière différente, qui lui est propre, en n’en expliquant que les aspects qui ont motivé les solutions principales : pour la maison à Kawasaki, vous définissez la structure à partir du budget et de la contrainte de construire sur un terrain mou en forte pente, et la spatialité intérieure à partir de la composition familiale particulière du client, un couple avec une belle-mère. Dans d’autres cas, comme pour la maison à Kyodo ou celle à Komazawa, le projet démarre de la typologie des résidences tokyoïtes, à deux étages avec toit à double pente : vous en redéfinissez les proportions et les hauteurs des niveaux en réaction au contenu de la maison (une grande collection de bandes dessinées) ou à ses environs (un passage public, la verdure des voisins). Enfin, dans certains projets, vous vous emparez d’un élément particulier qui traverse l’histoire de l’architecture, comme le pilotis, le balcon ou la porte d’entrée, qui deviennent alors les éléments à partir desquels se génère le projet. Ces approches produisent des projets assez différents les uns des autres. Je crois que cela correspond au concept d’« amplitude », qui donne leur titre à certaines de vos conférences.
Go Hasegawa: Tout à fait. Je présente les projets de manière simple pour les rendre intelligibles, mais chaque projet d’architecture demande évidemment de gérer un ensemble assez complexe de facteurs. Par ailleurs, cette complexité est très stimulante pour moi. Je ne suis pas minimaliste.
Carlo Menon: En 2017 vous avez montré votre travail à Montréal, au Centre canadien d’architecture, dans l’exposition Besides, History, définie par la commissaire comme une conversation entre deux bureaux d’architecture contemporains – vous et Office Kersten Geers David Van Severen – autour de leur relation avec l’histoire de l’architecture. Par cette exposition ou par votre livre Conversations with European Architects (Lixil, 2015), qui reprend vos échanges avec Álvaro Siza, Valerio Olgiati, Peter Märkli, Lacaton & Vassal, Pascal Flammer et encore Office KGDVS, vous faites émerger plusieurs intérêts communs avec des praticiens de votre génération et de la génération précédente, notamment quant au rapport à l’existant et à l’histoire.
Go Hasegawa: Peut-être inconsciemment, au début de ma pratique, et de plus en plus consciemment depuis ces expériences, j’ai trouvé une manière propre de me rapporter à l’histoire, qui est aussi symptomatique de la condition de ma génération. Je n’ai ni une relation d’antagonisme, comme ceux qui cherchent à innover à tout prix, ni une relation nostalgique, traumatique, comme ce fut le cas du postmodernisme. Je me rapporte à l’histoire de manière ouverte, non dogmatique. Il est assez fréquent, au Japon comme ailleurs, de vouloir tuer ses pères, comme Kenzo Tange, Arata Isozaki, Toyo Ito ou Kazuyo Sejima. Tout en ne suivant pas leur chemin, je ne les considère pas comme des ennemis. L’histoire n’est pas si simple et linéaire.
Envie de lire la suite ? L’article sera disponible dans le guide du visiteur distribué lors de la conférence !