Publié le 18.04.2023 | Texte: Lisa De Visscher, Eline Dehullu

Le terme « logement abordable » est plus large que celui de « logement social ». Le logement social est une forme très réglementée de logement abordable, mais ce dernier n’est défini nulle part dans la réglementation. A+ s’est entretenu avec six parties prenantes – des architectes, des coopératives, une société de développement urbain et un promoteur immobilier – qui tentent chacune de mieux comprendre la notion de logement abordable à partir de leur propre position.

AgwA – Studio Tuin en Wereld

Les immeubles Scandinavie sont deux bâtiments de plus de 300 habitations dans l’ancienne zone portuaire de Gand. Ces habitations sociales ont été construites dans les années 1960 par un promoteur privé pour permettre à des personnes à faibles revenus d’acquérir leur logement. Aujourd’hui encore, la plupart des habitants sont propriétaires, mais, étant donné leur fragilité économique, la nécessaire rénovation des bâtiments va en contraindre plus d’un à revendre son bien.

À l’initiative de la Ville de Gand, en collaboration avec le Stadsbouwmeester de Gand et le soutien de Stedenbeleid Vlaanderen, une étude conceptuelle a été lancée l’an dernier pour explorer les possibilités d’intégration urbanistique, de transition énergétique et de qualité de vie des bâtiments.

Nous nous sommes entretenus avec Tomas Ooms (Studio Tuin en Wereld) et Harold Fallon (AgwA), qui développent l’étude conceptuelle avec Domus Mundi pour la soumettre à la Ville.

A+ Sur quoi porte précisément votre recherche ? 

AgwA – STW Les immeubles Scandinavie sont deux bâtiments baptisés respectivement « Suède » et « Finlande ». Notre étude se concentre principalement sur le bâtiment « Suède », qui compte 224 appartements répartis sur 17 étages et autour de trois noyaux. Les appartements de deux à trois chambres avec de grands balcons sont tous mono-orientés à l’est ou l’ouest. Ce sont des habitations de qualité, mais mal entretenues. Des interventions sont nécessaires en termes de sécurité incendie, d’énergie et d’entretien. Nous étudions les problèmes et les possibilités intrinsèques du bâtiment, non seulement sur le plan énergétique, mais aussi pour les aspects humains : qui sont les résidents ? Quelles sont les communautés, les cultures et les langues qui s’y côtoient ? Et ainsi de suite… Vu la vulnérabilité économique de la plupart des habitants, la copropriété ne va pas pouvoir assumer les travaux, ou certains propriétaires vont être contraints de renoncer à leur habitation. C’est pourquoi le projet prévoit de développer un nouveau bâtiment sur un terrain adjacent, en procédant à un échange de parcelles, afin de trouver une solution financière. Pour cela, nous étudions les possibilités d’intégration dans le développement urbain du quartier, en respectant à la fois le master plan élaboré à l’époque par OMA et le futur plan d’exécution spatiale (PES).

A+ En quoi un nouveau développement est-il porteur d’une solution ?  

AgwA – STW Un nouveau développement offre plusieurs possibilités. Le bâtiment pourrait devenir une coopérative dont les habitants pourraient acheter des parts après la vente de leur propre habitation. Par le biais d’une collaboration avec Wooncoop, cette formule permettrait d’accueillir 7 à 8 % de profils financièrement fragiles. Une autre possibilité est le modèle du Community Land Trust, où le terrain appartiendrait à la Ville de Gand tandis que les habitants n’achèteraient que leur habitation.

A+ Quelles sont les possibilités pour le bâtiment lui-même, indépendamment d’un nouveau développement ? 

AgwA – STW La Ville de Gand, la coopérative ou tout autre partenaire pourrait racheter les habitations pour ensuite les mettre en location via une société de logement social. Le bâtiment peut par ailleurs être considéré comme un lotissement vertical, dont les parties communes – telles que les noyaux, mais aussi les toitures, la chaufferie et les façades – sortent de la copropriété pour devenir la propriété de la Ville de Gand, qui sera ensuite en charge des travaux requis.

Nous étudions en outre d’autres instruments tels que les subventions énergétiques existantes, mais aussi les microcrédits ou le principe de « Gent Knapt Op » (Gand se rénove), qui octroie des prêts de type « bullet » pour financer la transition énergétique. Les prêts sont plafonnés à 35.000 euros et remboursables en une seule fois, au moment de la vente par le propriétaire ou par ses héritiers. Tous ces modèles financiers sont complexes, et le premier défi consiste à donner les bonnes informations et à accompagner les habitants. La question plus générale est ici de savoir comment empêcher une quasi inévitable gentrification.

A+ Pourquoi la gentrification est-elle inévitable ? 

AgwA – STW À quelques exceptions près, les habitants sont tous propriétaires de leur logement. On ne peut pas les forcer à vendre leur habitation, ni leur imposer une rénovation, un acheteur ou un prix spécifique. Dans un modèle coopératif, les biens sont vendus en dessous du prix du marché. En échange, on reçoit des parts et du capital – les calculs sont actuellement en cours –, mais il faut toutefois encore payer un loyer. Dans un modèle de coopérative d’habitat équilibré, la proportion d’habitants financièrement vulnérables est limitée à maximum 8 %, alors qu’ici, presque tous les propriétaires correspondent à ce profil. Il est donc inévitable qu’un certain nombre d’habitants soient malgré tout contraints de vendre leur appartement, qui tombera en partie entre les mains de la classe moyenne. Le résultat sera probablement un mélange de tous les systèmes susmentionnés, ce qui offrira par ailleurs une certaine diversité.

A+ Quelle est la conclusion et quelles sont les prochaines étapes ? 

AgwA – STW L’étude reprenant toutes les possibilités est soumise à la Ville de Gand et à Stedenbeleid Vlaanderen. Vu l’importante proportion de projets pilotes qu’elle contient, nous proposons d’introduire une demande de subvention européenne pour les étapes suivantes : développer le projet architectural, réunir les voisins autour de la table pour discuter des échanges de terrains, définir en détail la coopérative, etc.

L’étude nous sert également de base pour formuler une série de conseils dans différents domaines, et les adresser à différents niveaux de compétences (assemblée des copropriétaires, Ville, Flandre, Europe…). Cela va des subventions aux statuts des assemblées de copropriétaires, et de l’énergie aux activités de quartier. Cela permettra d’appliquer notre étude à des bâtiments similaires dans d’autres villes. Et rien qu’en Flandre, ils sont nombreux !

Un des fers de lance de ces recommandations consiste à s’adjoindre trois profils : un technicien, un travailleur social et un gestionnaire de crise, pouvant aborder ensemble, de manière participative, la complexité de ce genre de projets. Il est en effet évident qu’un conseil d’administration et un syndic n’ont ni le temps, ni les capacités, ni les compétences pour faire évoluer de manière inclusive des bâtiments de ce genre.

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Sogent

Sogent, la société de développement urbain de la Ville de Gand, est également en charge de la politique en matière de développement urbain et de gestion immobilière. Elle met de plus en plus l’accent sur des logements locatifs abordables et de qualité comme alternative durable à l’achat d’habitations à petit budget. A+ s’est entretenu avec Sylvianne Van Butsele (directrice stratégie et opérations), Rebecca De Vos (manager immobilier) et Sofie Van Ginderachter (manager développement régional).

A+ Depuis un certain temps, vous vous concentrez sur l’extension de l’offre de biens locatifs abordables. Pour quelles raisons ?

Sogent Les Gantois sont nombreux à vouloir devenir propriétaires. Par ailleurs, nous constatons qu’à Gand, les locations représentent quasi 50 % du marché du logement. Ce pourcentage est beaucoup plus élevé qu’ailleurs en Flandre. Si Gand est en plein essor, c’est aussi une ville chère. Pourtant, nous souhaitons préserver l’inclusion : nous voulons que les personnes ayant un métier modeste et le groupe des isolés, qui ne cesse de croître, puissent continuer à y habiter.

Pendant un certain temps, la politique du logement s’est concentrée sur l’octroi de subventions pour l’achat d’un logement, par exemple via un prêt social ou l’offre d’habitations à petit budget, avec des maisons de ville vendues sous la valeur du marché. Toutefois, cette approche n’a pas suffisamment atteint son groupe cible. En particulier si on veut également s’adresser aux personnes dont les revenus sont juste un peu trop élevés pour pouvoir prétendre à un logement social, et qui ne possèdent souvent pas de mise de départ pour s’acheter une habitation à petit budget. Pour pouvoir leur offrir, à elles aussi, des habitations à prix abordable, nous devrions toutefois faire considérablement baisser le prix d’achat, et l’apport public requis deviendrait beaucoup trop important. Les programmes d’achat subsidié ne peuvent donc contribuer que de manière limitée à un logement abordable.

Par ailleurs, nous avons aussi constaté que le groupe visé pouvait rapidement être exclu par les conditions d’achat d’une habitation à petit budget. Une des conditions pour y avoir droit est de renoncer à vendre le bien pendant les dix premières années suivant l’achat. Une situation professionnelle ou familiale peut évoluer rapidement – beaucoup plus rapidement qu’avant – et contraint souvent un propriétaire à revendre sa maison avant cette échéance. Mais si nous l’autorisions, nous passerions à côté de l’objectif que nous poursuivons en subsidiant l’achat, et contribuerions à une spéculation qui rend les habitations inabordables.

Il est donc essentiel que la politique du logement de la ville continue à se concentrer sur une augmentation de l’offre de biens locatifs abordables. Cette politique mise à la fois sur le logement social et les biens locatifs à petit budget. La société de logement Thuispunt Gent se concentre sur la location de logements sociaux. Chez Sogent, nous sommes en faveur d’un glissement de l’achat à petit budget vers des biens locatifs abordables. Et dans ce cas, le groupe cible se compose de personnes qui, de peu, ne remplissent pas les conditions d’accès à un logement social, ou pour qui le marché locatif à Gand est juste un peu trop cher.

A+ Comment concrétisez-vous précisément cette offre accrue de biens locatifs abordables ?

Sogent Dans chacun de nos projets de logement, nous visons une saine mixité d’unités à vendre, de logements sociaux et de locations à petit budget – c’est important pour la réussite du projet, notamment sous l’angle financier. Idéalement, un projet doit comporter 60 % d’habitations conventionnelles conformes au marché, 20 % d’habitations sociales et 20 % d’habitations à petit budget.

Notre filiale Huuringent a déjà dix ans – elle a été fondée en 2013 ; cette agence de la ville met en location des habitations privées à prix décent à des personnes à revenus modestes. Dans les futurs projets de logement de Sogent, Huuringent prendra en charge la mise en location à loyer abordable. Le projet Kaai 24 dans l’avant-port du quartier du Muide, conçu par Dierendonckblancke et Lust architecten, en est un bel exemple. Nous y construisons 72 appartements éco-énergétiques regroupés autour d’un jardin intérieur partagé. Vingt-sept appartements seront proposés à la vente, tandis que 20 autres seront mis en location par la société de logement social. Les 25 appartements restants seront proposés à la location par l’agence de la ville, à des loyers modérés.

Pour qu’un projet d’habitat de qualité comportant un certain pourcentage d’unités à faible loyer réussisse, il est essentiel que le promoteur soit convaincu dès les balbutiements du projet et adapte son business model en conséquence. Un exemple de réussite est le développement du nouveau bâtiment en S sur la Koningin Mathildeplein, du côté sud de la gare de Gand-Saint-Pierre, qui est le fruit du travail du bureau 360 architecten. Pour cela, Sogent a conclu un contrat de collaboration avec le partenaire privé Acasa Group. Le bâtiment proposera 63 logements à loyer modéré, disposant tous d’une terrasse privée. Il y aura en outre un jardin intérieur collectif, une terrasse en toiture et un pavillon de jardin avec cuisine, où les habitants pourront se retrouver ou organiser une activité privée. Les habitations seront mises en location par Huuringent à des loyers prédéterminés.

Il est indispensable à la fois de revaloriser la location et d’améliorer l’offre locative, en la rendant par ailleurs abordable. Pour concrétiser le changement de paradigme de l’achat à la vente, il importe particulièrement que tout le monde s’implique : les pouvoirs publics, les promoteurs, les agences de location, les propriétaires privés et, bien entendu, les futurs habitants. Il faut changer progressivement notre façon de voir l’habitat et l’achat ; appelons cela un changement de mentalité, un changement de génération ou un autre mode de pensée systémique. Cela prend du temps. La conjoncture économique actuelle ne nous aide pas vraiment, bien au contraire. Mais nous croyons fermement dans la ville inclusive et sommes convaincus que pour cela, une offre locative à prix abordable est nécessaire. Nous sommes dans une phase pionnière : nous testons ce qui marche et ne marche pas, nous apprenons, et nous nous améliorons sans cesse. Un changement de paradigme ne s’obtient pas du jour au lendemain ; il n’est pas le fruit d’une révolution, mais d’une évolution permanente.

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51N4E – Cast

Le studio Cast du bureau d’architecture 51N4E se consacre spécifiquement à la réalisation de bâtiments adaptables, qui poursuivent simultanément plusieurs objectifs et dynamisent l’environnement. Un de ces objectifs – envisagé sous de multiples facettes plutôt que de manière linéaire – est le logement abordable. À l’occasion d’une interview, les porteurs du projet de 51N4E-Cast – Wim Menten, Matthieu Moreau et Aline Neirynck – ont partagé leur avis sur l’adaptabilité, la collectivité, la densification et les liens possibles entre ces différents éléments.

A+ Chez 51N4E, quand vous envisagez des manières de rendre le logement abordable, vous ne raisonnez pas tant en termes de concepts alternatifs d’habitat social, modeste ou équitable, ni de modèles de financement ou de formes de propriété, mais plutôt sous l’angle d’interventions spatiales très concrètes permettant aux gens de se rencontrer. Pouvez-vous nous éclairer sur le lien que vous faites entre un espace partagé et l’habitat abordable ?

51N4E-Cast Quand on regarde les anciens modèles d’habitat social – mais aussi ceux d’aujourd’hui – on se rend compte qu’on raisonne trop souvent sous l’angle d’un minimum de mètres carrés ou de chambres à coucher, de luminosité, d’aération et d’hygiène, ou encore d’isolation, de ventilation, d’énergie et de consommation. C’est-à-dire des facteurs financièrement ou quantitativement mesurables. C’est bien entendu très important, mais nous trouvons cette approche de la construction de logements sociaux un peu trop « technique ». On n’accorde que peu d’importance à l’aspect « social » de l’habitat social : l’importance de la cohésion entre les habitants, de la faculté à s’intégrer dans une communauté de vie. Cela nous semble particulièrement essentiel pour les habitants vulnérables d’un quartier social. Vivre dans un logement acceptable, ce n’est pas tout. Ils ont besoin de lien, d’intégration, d’un quartier où la bienveillance règne entre les gens, notamment en dehors du noyau familial. Un lieu où on peut organiser une fête de famille élargie, jouer en sécurité, aider les enfants à faire leurs devoirs ou simplement les accueillir après l’école, un lieu où on peut spontanément papoter avec les voisins.

A+ Pour vous, il s’agirait donc de combiner les espaces individuels et partagés, pour renforcer l’esprit de quartier ? Une architecture qui façonne les quartiers ?

51N4E-Cast Oui, il y a un joli mot pour ça en français : « le voisinage ». En tant que concepteurs, nous pensons d’abord en termes d’espace. Nous sommes à la recherche d’un alphabet architectural susceptible de favoriser les rencontres, les relations et la collectivité. Par exemple, une terrasse ou un jardin partagé, un escalier large, une passerelle surdimensionnée ou un hall d’entrée ouvert pouvant servir de pièce extérieure. Des lieux propices aux rencontres fortuites, et où l’on peut simplement faire ensemble des petites choses du quotidien. Mais il peut également s’agir de grandes baies vitrées générant un contact visuel entre les habitants et leur environnement.

A+ Cela ne me semble pas uniquement important pour l’habitat social !

51N4E-Cast Certainement pas, mais c’est encore plus nécessaire dans ce cas. Grâce aux espaces partagés, au-delà d’offrir aux habitants précarisés davantage de place que ce qu’ils pourraient normalement se payer, on leur donne également l’opportunité de s’intégrer dans un quartier, de s’approprier ensemble un endroit, de former une communauté. Une étude du sociologue Dirk Geldof (Université d’Anvers) a révélé qu’il y avait beaucoup moins de verdure dans les quartiers où la diversité était élevée et les revenus plus faibles. [1] On y trouve moins de jardins privés et de parcs. C’est très problématique, parce que c’est là que vivent le plus de familles avec enfants. Et ce sont précisément elles qui se retrouvent dans les quartiers les moins verts. Il faut donc une nouvelle dynamique qui redistribue l’espace, avec de la place pour les espaces verts et la rencontre.

Pour créer un voisinage dynamique où les anciens habitants vivent avec les nouveaux, non seulement en s’acceptant, mais aussi en s’accueillant à bras ouverts, il faut de la mixité sociale. À défaut, on obtient de la ségrégation et de la ghettoïsation, avec, à une extrémité du spectre, le quartier de villas flamandes, et, de l’autre, la banlieue sociale de la capitale. L’ambition de notre architecture est de rassembler les gens et de créer de la mixité sociale entre les anciens et les nouveaux habitants, chacun avec son identité et son histoire, et à différents niveaux de l’échelle des revenus. Nous sommes en quête d’un modèle de « noyau d’habitat densifié, villageois ». C’est précisément la raison pour laquelle ces espaces partagés sont si importants : ils constituent un mécanisme d’accueil des résidents sociaux dans le quartier.

A+ Y a-t-il des limites à la collectivité ?

51N4E-Cast En fait, les modèles formels d’habitat collectif ne nous intéressent pas vraiment. Nous sommes davantage concernés par des formes d’habitat robustes où les espaces partagés jouent un rôle important ; des lieux où des moments de convivialité informels se créent à partir d’expériences concrètes du quotidien. Ce n’est pas vraiment la même chose. Parce que, bien entendu, la collectivité a ses limites. Pour citer l’anthropologue Ruth Soenen, avec qui nous collaborons notamment pour esquisser la structure du quartier Moscou-Vogelhoek à Gand : la communauté ne doit pas devenir une contrainte sociale. [2] Trop de proximité peut nuire au vivre-ensemble. Il s’agit donc avant tout d’une version ambivalente de la communauté, qui autorise à la fois la connexion et la déconnexion. Un subtil cocktail de rencontre et d’évitement. C’est pourquoi un même projet doit permettre différents niveaux de partage de l’espace. Pour que ce partage soit une réussite, il faut que suffisamment d’espaces semi-publics et totalement privés coexistent.

A+ Pour vous, un logement abordable n’est pas seulement une affaire de collectivité, mais aussi d’adaptabilité et de densification. [3] Pouvez-vous l’expliquer à partir de certains des projets sociaux auxquels vous travaillez ?

51N4E-Cast Des modèles adaptables intelligents peuvent transformer les quartiers existants en lieux de vie attrayants, et apporter ainsi une réponse à l’évolution de la composition des ménages. Par ailleurs, les cadres de vie collectifs robustes offrent des opportunités de préserver le peu d’espace ouvert qu’on y trouve, et d’en accroître le potentiel naturel. Plus on densifie, plus il y a d’espace pour la verdure : un jardin partagé ou un espace de jeu boisé, un petit parc ou un abri à vélos pour le quartier. Donc oui, densification et adaptabilité, collectivité et inclusion, végétalisation et écologie vont de pair. Elles font partie d’un grand tout, où la création d’un espace ouvert partagé est fondamentale.

Comme les budgets de construction des habitations sociales sont limités, on doit surtout se concentrer en tant que concepteur sur ce qui est essentiel pour favoriser l’implication. Nous optons souvent pour de petites interventions ayant un grand impact, les plus simples et qualitatives possibles. C’est notamment le cas de notre projet pour la cité-jardin de Homborch à Bruxelles, construite en 1930 par la Société coopérative uccloise de construction d’habitation à bon marché. Cette cité-jardin de 120 habitations – des maisonnettes blanches le long de ruelles pavées – est construite sur un plateau à la topographie unique. À la demande de la Société du logement social de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB), nous y réalisons 90 unités d’habitat supplémentaires (logement social et pour classe moyenne) à prix abordable. La plupart de ces unités disposeront d’un large escalier extérieur et de pièces de vie dotées de grandes fenêtres avec différentes vues. Notre premier objectif est de commémorer la qualité paysagère de la cité-jardin afin qu’elle puisse remplir plusieurs rôles à la fois. C’est pourquoi nous devons miser le plus possible sur la densification des pôles et sur de nouvelles façons de traverser le quartier. Pour cela, nous exploitons la topographie du paysage. Le monotone paysage de pelouses disparaît et nous le remplaçons par différents types de lieux de rencontre végétalisés : tantôt sauvages, tantôt aménagés, un potager ou un terrain de sport, parfois entièrement accessibles au public, puis un peu plus intimes et privés. Nous travaillons en étroite collaboration avec des sociologues et architectes paysagers (Coloco) ; notre but est en effet de mettre en place « un paysage partagé » susceptible de créer une communauté Homborch.

Dans la cité du Peterbos à Anderlecht –parfois considéré comme « le quartier le plus dangereux du pays » à cause de sa problématique de drogue –, nous rénovons actuellement avec Lacaton & Vassal une tour de 81 appartements sociaux. Dans ce genre de projet où le budget est restreint, il est particulièrement important de prendre des décisions bien réfléchies : que faut-il rénover ou non ? Ici, nous misons, d’une part, sur l’ajout d’une structure à deux façades longitudinales afin que chaque appartement dispose d’un jardin d’hiver, et, d’autre part, sur l’investissement dans des espaces semi-publics partagés, aménagés dans la plinthe, qui est elle-même en lien avec la rue et terrain autour. Au-delà d’améliorer la qualité des unités d’habitat, le projet crée également de la place pour de l’ancrage collectif et social dans le quartier.

Dans notre master plan pour le quartier de logements sociaux Groothuis à Verrebroek, la rénovation des habitations est également l’occasion d’empêcher l’artificialisation des sols dans la zone d’extension de l’habitat actuellement non bâtie. En même temps, nous augmentons la densité du quartier et favorisons la mobilité douce en transformant en zone de vie une rue jadis dédiée à la voiture. Ces rues conviviales permettent aux habitants de s’approprier le quartier, et créent des occasions de rencontres et d’interactions caractéristiques d’une densité villageoise. Le paysage des polders environnants demeure ouvert et nous le transformons en biotope naturel, productif et biodiversifié, accessible aux habitants du voisinage et des quartiers environnants.

A+ Il est frappant de voir que vous travaillez avec des anthropologues, des sociologues, des écologistes et des architectes paysagistes. Cette approche multidisciplinaire semble indispensable à votre manière de faire de l’architecture en prenant soin de la société, avec bienveillance.

51N4E-Cast Chez nous, nous ne parlons pas d’interdisciplinarité ou de multidisciplinarité, mais d’urbanisme et d’architecture intégratifs. Cela signifie que nous combinons différents types de savoir-faire afin qu’ils se complètent et forment un tout. Grâce à Acte – autre studio faisant partie de 51N4E qui se concentre davantage sur l’urbanisme et la transformation incrémentale d’une ville ou d’un quartier urbain –, nous élargissons nos connaissances de l’espace en nous adjoignant une expertise sociale. Parce qu’en définitive, l’architecture, c’est s’approprier l’espace. Cela parle des choix des habitants et des usagers, qui décident d’investir on non du temps dans telle ou telle chose, qu’il s’agisse d’espace partagé ou privé. Pouvons-nous dégager des patterns dans l’appropriation ? Où commence et où finit le cercle d’habitat strictement privé ? Où existe-t-il des opportunités de créer du lien, de générer de la cohésion ? En tant que concepteurs intégratifs, nous cherchons à créer un espace de qualité pour ces habitudes et ces vécus du quotidien, un cadre susceptible de demeurer adaptable et flexible afin que de nouvelles possibilités et circonstances puissent advenir. Quand un architecte effectue une intervention spatiale, il est responsable pendant longtemps de ce qu’il peut se passer – ou pas – dans le nouvel espace. Pour nous, cette attitude intégrative relève également d’une démarche inclusive, et donc d’une profonde bienveillance.

Merci également à Roxane Le Grelle pour l’entretien qui a précédé ce texte.

[1] Dirk Geldof, Atlas Superdiversiteit Vlaanderen : « Des habitations abordables sont essentielles en ville, mais au-delà d’être capables de les payer, les nouveaux habitants ont également des besoins sociaux. Ils ont besoin d’espaces de jeu, de sport et de rencontre, de nouveaux types de commerce et de capacités supplémentaires pour des écoles et des lieux de prière » (Trad. libre).

[2] Ruth Soenen, Cohousing without community?, in : A+280 Special Edition : Collective Housing, octobre/novembre 2019

[3] Transformative Densification : 51n4e.com/programs/transformative-densification

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Wooncoop

Wooncoop est une organisation autonome de bénévoles rassemblés pour représenter les besoins en logement dans toute la Flandre. A+ a rencontré Karel Lootens, cofondateur de la coopérative créée en 2018.

A+ Pourquoi avez-vous créé Wooncoop voici cinq ans ? Quel était le but ?

Wooncoop L’idée est avant tout née de considérations sociales et sociétales : se loger est un droit fondamental. Mais comme les logements de qualité sont de plus en plus chers, c’est un rêve qui s’éloigne pour beaucoup. Ce droit fondamental est donc de plus en plus mis sous pression. Chez Wooncoop, nous rêvons d’un avenir où tout le monde pourrait vivre dans une habitation durable et de qualité. D’après nous, pour y parvenir, il faut commencer par combler un trou dans le marché du logement. En Flandre, il n’existe plus grosso modo que deux types d’habitat, aux deux extrémités du spectre : d’une part le logement (social) locatif, et de l’autre les biens immobiliers occupés par un propriétaire fixe et qui sont lourdement soumis à la spéculation. Nous voulons offrir une alternative, un modèle d’habitat radicalement nouveau, qui ne soit plus purement perçu sous l’angle du rendement et où la frontière entre location et achat disparaît.

A+ À quoi ressemble ce modèle d’habitat alternatif ?

Wooncoop À la demande des citoyens, nous achetons des bâtiments ou des terrains, nous planifions et accompagnons la rénovation ou la construction du projet de logement, et gérons le bien en cours d’occupation – ce qui « décharge » les habitants. Pour cela, nous avons recours à différentes sources de financement : en premier lieu, les coopérateurs eux-mêmes, qui vivent dans les lieux et achètent des parts de la coopérative. Plus l’apport en capital est important, plus les conditions de location sont avantageuses. En fonction de leur situation financière, les résidents déterminent donc eux-mêmes la charge mensuelle. Cela leur permet par ailleurs d’épargner plus ou moins de capital pendant la période d’occupation du logement. La famille et les amis ou d’autres non-résidents peuvent également effectuer un apport de capital. Ces personnes s’engagent alors dans un « investissement éthique ou à impact » en achetant des parts de la coopérative, et contribuent à la réalisation d’un projet d’habitat local susceptible de rapporter un rendement annuel de 2 %. Et ceux qui souhaitent investir sans pour autant devenir coopérateurs peuvent prêter à Wooncoop un montant de 5.000 euros ou plus, avec un rendement de 2 ou 3 %, selon la durée du prêt.

A+ Il ne s’agit toutefois pas uniquement d’un modèle financier ? Sauf erreur, Wooncoop, c’est de l’investissement éthique et de l’entreprise sociale, la priorité étant mise sur l’écologie et la durabilité, le vivre-ensemble et la collectivité.

Wooncoop Effectivement, au-delà de vouloir résoudre les problèmes du marché du logement, nous voulons aussi générer un impact social plus large. Étant donné qu’on est propriétaire avec d’autres d’une entreprise gérée et contrôlée de manière totalement démocratique, on abandonne rapidement toute velléité individualiste, linéaire et monétaire, pour défendre les valeurs intrinsèques que je viens de mentionner. L’intérêt personnel cède le pas à l’intérêt commun. C’est pourquoi, même si nos résidents ayant accès à un habitat de qualité malgré des revenus limités progressent en pourcentage, Wooncoop préfère parler d’« habitat durable et décent » que d’« habitat abordable ».

A+ Quelle est précisément la différence entre un habitat abordable et un habitat décent ?

Wooncoop « Abordable » ou « payable » sont des termes subjectifs : ce qu’une personne est prête à payer peut être inabordable pour une autre. C’est pourquoi Wooncoop préfère parler de « se loger à un prix correct », ou décent. C’est en cela que se loger par le biais de Wooncoop devient plus abordable. Pour y parvenir, nous avons mis au point une série de « systèmes intelligents ». Le premier – et le plus important – est que quand on habite chez Wooncoop, on se loue un logement à soi-même, au véritable prix de revient. Seuls les frais inhérents au bâtiment et à sa gestion sont portés en compte ; ni plus ni moins. On ne mange pas à deux râteliers, et le logement est soustrait à toute forme de spéculation – qui est une des causes principales de la hausse de l’immobilier.

Un autre système qui nous permet de rendre le logement plus abordable, c’est l’évaluation des besoins en capitaux par groupe plutôt que par personne. Quand on contracte un emprunt pour l’achat d’une maison, la banque attend qu’une partie du capital soit apportée en fonds propres. C’est aussi le cas chez Wooncoop : nous ne démarrons un projet que lorsque les futurs habitants et leurs proches ont réussi à réunir un tiers du capital, mais la grande différence est que nous calculons cet apport par rapport à l’ensemble des habitants du projet de logement, et pas par personne. Par ce mécanisme de solidarité, ceux capables d’apporter plus de capital aident les personnes dont les moyens sont plus restreints.

En partageant le capital et en proposant un habitat au prix de revient réel, grâce aux réductions venant des proches etaux actionnaires qui renoncent au rendement, nous œuvrons également ensemble à une forme de « prévention ». Parce que la demande de logements plus abordables ne cesse d’augmenter dans une grande partie de la classe moyenne flamande. À plus long terme, le modèle équitable, inclusif et solidaire de Wooncoop peut freiner l’allongement de la liste d’attente pour un logement social, voire la réduire.

A+ Ce nouveau modèle de logement a-t-il par ailleurs un impact sur l’architecture et la typologie de notre mode d’habitat ?

Wooncoop C’est évident. Wooncoop est pionnier à tous les égards. On trouve bien entendu des modèles de coopératives de logement à l’étranger, notamment en Autriche, en Suisse et en Suède. Mais on ne peut cependant pas tout simplement les copier ; nous devons tout réinventer, en tenant compte des spécificités et de l’histoire de notre culture de l’habitat. Les exemples à l’étranger nous ont beaucoup appris sur l’architecture et la typologie de l’habitat collectif ou partagé : la proportion entre espaces collectifs et privés, la manière de centraliser les installations techniques, le choix des matériaux durables à mettre en œuvre (parce qu’on s’installe pour toute la vie), ou encore la manière d’organiser la circulation. Nous avons créé un pôle d’architectes qui veulent contribuer à façonner cette idée d’habitat progressiste et qui misent sur une architecture de qualité reliant les individus. Actuellement, Wooncoop a 26 projets en cours, dont 16 en phase de construction, notamment De Drukkerij (Havana) à Gand, Moosherk à Hasselt (Ectv) et De Wasserij à Anvers (Stramien).

A+ Quels seront d’après vous les effets à long terme de ce nouveau modèle d’habitat ?

Wooncoop Actuellement, nous ne possédons pas le recul nécessaire pour en évaluer l’impact à long terme. Mais quand on regarde les exemples à l’étranger, on voit que les coopératives parviennent à proposer leurs logements 20 % sous les prix du marché. La coopérative de logement exige une réflexion progressiste – pas seulement des habitants et des architectes, mais aussi des pouvoirs publics, des banques, des promoteurs et des fournisseurs. Comme ce modèle est en rupture avec la logique du système existant, le processus est très lent et est un travail de longue haleine. On avance pas à pas. Notre devise : mieux qu’hier, mais encore mieux demain.

Info : wooncoop.be

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CLT Brussels

Le CLT Brussels, premier Community Land Trust de Belgique inspiré du modèle américain, a été créé voici dix ans, ce qui lui a valu de remporter l’an dernier le World Habitat Award des Nations unies. A+ s’est entretenu avec le coordinateur Geert De Pauw sur ce que l’organisation apporte à Bruxelles du point de vue d’une politique de logement plus inclusive.

A+ Qui est CLT Brussels, et que faites-vous précisément ?

CTLB CLT Brussels a vu le jour il y a dix ans, à l’initiative d’associations et d’activistes engagés pour le droit au logement à Bruxelles. Nous partons du principe que le logement ne peut rester abordable qu’en neutralisant la spéculation qui fait artificiellement flamber les prix. Pour cela, il faut exclure les terrains des opérations immobilières et faire en sorte de limiter la plus-value sur la vente des habitations.

Nous bénéficions du soutien de la Région de Bruxelles-Capitale, et avons aujourd’hui six projets d’habitat en cours, pour un total de 120 habitations. Il ne s’agit pas uniquement de constructions neuves : le modèle CLT est parfaitement applicable aux rénovations. Mais dans chacun de ces projets, nous restons propriétaires du terrain. Les habitations sont en partie construites ou rénovées au moyen de subsides, tandis que le reste provient des emprunts hypothécaires des acquéreurs. Lorsque le ou la propriétaire d’une de ces habitations veut vendre son bien, le prix de vente sera limité au prix initial majoré de 25 % de la plus-value estimée. Concrètement, cela signifie qu’une habitation dont la valeur était estimée à 250.000 euros lors de la construction et ayant bénéficié de 50.000 euros de subsides, si elle est estimée à 290.000 euros pour la vente, ne pourra être vendue qu’à 210.000 euros. C’est ce qui fait chez nous la différence par rapport à d’autres biens immobiliers abordables : ils restent abordables même en cas de changement de propriétaire. Si on ne parvient pas à réglementer la plus-value réalisée sur la vente d’un bien immobilier, ledit bien redevient un objet de spéculation et les subventions octroyées par les pouvoirs publics en soutien de l’accès à la propriété sont de l’argent jeté par les fenêtres.

A+ Vous misez sur la propriété et non sur le marché locatif. Pour quelles raisons précisément ? Et à qui sont destinées ces habitations CLT ?

CTLB Nos habitations s’adressent aux classes de revenus les plus faibles, les personnes qui ont droit à un logement social. Nous fonctionnons avec un système d’inscription et des listes d’attente. Le prix de vente dépend des revenus de l’acquéreur. Nous faisons en sorte que les remboursements mensuels n’excèdent pas un tiers de ses revenus.

Nous misons sur la propriété parce que nous pensons qu’elle offre de nombreux avantages. Posséder son habitation, c’est avoir une sécurité de logement, se constituer un capital, être indépendant, et c’est aussi un patrimoine à transmettre à ses héritiers, ce qui rompt la spirale de la pauvreté héréditaire. Nous croyons que notre système est un bon complément aux logements sociaux proposés par les pouvoirs publics.

A+ Être propriétaire, cela coûte de l’argent. Comment les acquéreurs font-ils face aux frais d’entretien et de rénovation ?

CTLB Nous tentons d’accompagner le plus possible les acheteurs dans leur statut de propriétaire ; nous donnons des formations sur la copropriété, l’épargne, le calcul du budget d’un ménage, etc. Et nous avons par ailleurs un droit de regard sur l’habitation. En cas de négligence manifeste, le CLT peut intervenir. Comme nos bâtiments sont relativement récents, ils n’ont pas encore dû faire l’objet de gros travaux de rénovation, mais grâce aux études du Chamberlain Housing Trust de Burlington, le modèle américain qui nous a inspiré notre CLT, nous savons comment appréhender la situation pour garantir que les habitations restent abordables.

A+ Cent vingt habitations en dix ans, pour une ville comme Bruxelles, cela reste une goutte dans un verre d’eau. Comment envisagez-vous l’avenir ?

CTLB Nous continuons à remettre en question le modèle dominant de la propriété, mais pour avoir un véritable impact, nous devons impérativement prendre de l’ampleur. À l’avenir, nous voulons construire des projets plus grands, davantage d’unités d’habitation, pour nous permettre par ailleurs de construire encore moins cher. Vu la réalité du contexte bruxellois, nous voulons miser davantage sur les rénovations et moins sur les constructions neuves. Nous regardons par exemple comment racheter des biens aux communes dans le cadre d’un contrat de quartier.

En outre, nous voulons continuer à étudier comment retirer les habitations existantes du marché et comment résoudre le problème des immeubles vacants. Nous participons aussi au projet Renolution de Bruxelles Environnement, dans le cadre duquel les propriétaires incapables de financer la rénovation énergétique de leur bien revendent au CLT le terrain situé sous leur habitation, pour pouvoir malgré tout effectuer les travaux grâce à une prime complémentaire.

A+ L’année dernière, vous avez réalisé un projet atypique baptisé CALICO. De quoi s’agit-il précisément ?

CTLB Calico est l’acronyme de Care & Living in Community. Ce projet est atypique parce que c’était une initiative collective de plusieurs organisations qui souhaitent toutes, à leur façon, soutenir d’autres modes de vivre-ensemble, de manière plus impliquée. Cela se traduit également dans un programme qui, au-delà d’une dizaine d’habitations CLT classiques, réalise également des habitations coopératives, dix logements locatifs pour femmes en situation vulnérable, une maison de naissance où accoucher en toute sécurité ailleurs qu’à l’hôpital, une maison de fin de vie ainsi que des logements pour sans-abri. Tous ces programmes partagent un jardin commun, on y trouve un espace de rencontre pour des personnes avec des problèmes mentaux, et la mixité générationnelle fait l’objet d’une attention particulière.

Lorsque nous avons acheté le bâtiment, les plans et le permis existaient déjà, mais rien n’était encore construit. Le programme a été réalisé sur un terrain appartenant au CLT, et il est aujourd’hui opérationnel. Nous stimulons des initiatives de cohésion sociale – par exemple une cuisine de proximité utilisant les invendus du supermarché, une école des devoirs le mercredi et un accompagnement des sans-abri via Housing First pour les réintégrer dans la société.

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Triple Living

Fin 2022, le promoteur de projets anversois Triple Living a inauguré une exposition consacrée à l’habitat abordable et aux logements d’urgence dans l’œuvre de l’architecte japonais Shigeru Ban, avec qui il réalise actuellement un immeuble résidentiel à Anvers. A+ a demandé au CEO Stefan Paeleman comment il ambitionne de rendre ou de maintenir le logement abordable en Belgique.

A+ Que signifie exactement le logement abordable pour vous ?

Triple Living Le logement abordable, c’est un concept très vaste. En collaboration avec Architecture Workroom Brussels, nous avons mené une étude pour tenter de cerner la problématique et de définir comment, en tant que promoteur de projets, nous pouvons apporter une réponse.

Actuellement, une part toujours plus grande de la population – qui se situe dans le premier, second et parfois troisième quintile de revenus – n’a plus les moyens de s’acheter un logement. Pourtant, nous sommes convaincus qu’être propriétaire contribue largement à lutter contre la pauvreté. En Belgique, nous n’avons pas de fonds de pension bien alimenté comme aux Pays-Bas ou en Suisse, et vu les loyers actuels, nos retraites sont trop faibles pour permettre de vivre décemment, surtout pour les catégories de revenus les plus faibles. Nous plaidons pour des habitations abordables à l’achat, permettant de constituer un patrimoine susceptible d’être un complément à la pension et un pilier de la sécurité sociale. En outre, les propriétaires améliorent généralement la qualité du voisinage étant donné qu’ils sont souvent plus stables, et ont un impact positif sur la cohésion sociale au sein d’un quartier… ce qui à son tour contribue à la sécurité.

Nous pensons que l’accessibilité à un système qui consiste à « vivre grâce à son compte d’épargne » est importante parce que cela permet de réduire la dépendance aux subventions et aux primes, ce qui rend les citoyens plus autonomes. En ce sens, c’est un scénario gagnant. C’est en outre la vision sur laquelle les générations précédentes ont misé et qui a créé beaucoup de richesse dans le passé. Il importe toutefois que ces habitations soient de qualité et durent dans le temps. Nous estimons que les bâtiments « décents » que nous fabriquons répondent à ces critères.

Bien sûr, le marché immobilier propose des habitations à prix abordable, mais elles obtiennent souvent des scores énergétiques médiocres et sont généralement situées dans des communes mal desservies par les transports en commun et où les opportunités de travail sont faibles. Indirectement, ces habitations sont donc très chères, vu le budget à consacrer à la mobilité et à l’énergie. En outre, ce morcellement de l’aménagement du territoire entraîne une raréfaction de l’espace ouvert, et le coût de l’habitat à charge de la société augmente. C’est pourquoi nous devons construire dans les zones où se concentre l’économie. Nous devons réfléchir à la manière dont nous souhaitons que cette zone métropolitaine fonctionne, hyperconnectée, avec des transports publics efficaces. L’extension des villes aux endroits pertinents ne doit pas être un tabou, et peut même être un levier pour plus d’espace ouvert, d’agriculture, de nature et d’eau.

Il est important de préciser que le « métropolitain » n’est pas l’« hyperurbanité », mais fait plutôt référence à une sorte de zone urbanisée pouvant accueillir toutes les formes d’habitat. Le métropolitain se concentre sur une organisation efficace des infrastructures et des transports publics, en s’appuyant sur une vision urbanistique de qualité.

A+ Quels sont les obstacles à la construction d’un immobilier abordable dans cette zone métropolitaine ?

Triple Living  Souvent, on considère que construire bon marché est en lien avec des techniques de construction et des matériaux spécifiques, ou avec une autre façon de concevoir les projets, mais il n’y a plus grand-chose à tirer de cette approche – du moins si on veut construire décemment. Il existe de nombreuses façons d’aborder les choses, dans différents domaines, de la construction de systèmes aux modèles de community land trusts, mais il manque une approche systémique – une vision holistique qui crée des liens entre différentes thématiques sociétales et où la solution à un problème peut également servir de levier pour en résoudre un autre. Je suis d’avis que nos plans régionaux sont défaillants – du moins en partie. Ils datent d’une époque où la voiture était considérée comme le moyen de transport par excellence. Je pense qu’on s’accorde de plus en plus à dire que c’est une erreur. Pour cela, nous avons besoin d’une position foncière abordable, d’une sécurité juridique et d’exigences réalistes.

Les terrains sont rares, mais ce sont les différents gouvernements qui ont généré eux-mêmes cette rareté. Il y a trop de projets dont les demandes de permis aboutissent, mais qui, en raison de procédures juridiques, finissent par ne jamais être réalisables. Parfois il faut construire moins dense, moins haut, les habitations doivent être plus grandes, ou il faut plus de verdure. Si tout cela semble bien beau, le résultat est que les terrains deviennent de plus en plus rares, avec à la clé des prix inabordables, de même que les produits finaux.

L’absence de sécurité juridique, ou de clarté quant à ce qu’on peut précisément construire, comment et à quel endroit, et les risques inhérents de procédures pouvant mettre à l’arrêt un projet de construction sont autant d’éléments qui ouvrent la porte à la spéculation et font décoller les prix. Quant aux normes et aux réglementations qui se multiplient, elles ne font que pousser à la hausse les coûts de construction, et là aussi, le risque de procédures supplémentaires ne fait qu’augmenter. Il faut du courage politique pour décider de ramener certaines choses à leur essence, en se demandant : « De quoi avons-nous vraiment besoin ? » C’est la condition sine qua non pour construire des habitations décentes.

A+ Vous avez évoqué les constructions neuves, mais qu’en est-il des bâtiments existants ?

Triple Living  On estime qu’à peine 3 à 5 % de l’immobilier résidentiel existant respecte les normes en matière de confort et d’énergie. Une grande partie de ces biens n’est pas adaptable. Quel sort leur réserver ? Faut-il tous les raser ou les rénover pour les mettre aux normes énergétiques ? Ou devons-nous plutôt réfléchir à des modes durables d’approvisionnement en énergie pour alimenter ce patrimoine aux performances médiocres ? Par ailleurs, une partie de ce patrimoine est un héritage précieux qu’il n’est pas toujours facile de rénover dans le respect des normes énergétiques. Il existe parmi les tranches de revenus Q2 et Q3 un très grand marché pour ce genre d’habitations abordables, mais c’est précisément dans ces segments que les performances énergétiques sont prépondérantes – ou alors, il faut cesser de les qualifier d’abordables.

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