Concours d’architecture: comment faire mieux ?
Le concours d’architecture est une des institutions sacrées de la pratique. Il a pour rôle d’ouvrir le débat sur des commandes importantes, avec visibilité et transparence sur la procédure. Il favorise l’innovation et la qualité, offre aux maitrises d’ouvrage une plateforme pour sélectionner un partenaire adapté pour leurs projets et permet de chercher le meilleur rapport qualité-prix. Il favorise la méritocratie en donnant à plusieurs, dont les jeunes pratiques, l’opportunité pour montrer leur capacité. Pour les architectes, le concours reste l’entrée principale à la commande publique, et je pense qu’il est difficile de trouver un architecte qui n’a pas participé à au moins un concours.
Pourtant, ayant vu de près plusieurs concours de sortes, échelles, rythmes différents dans les quinze dernières années, je témoigne d’aspects pervers qui déforment ce processus aux nobles intentions. C’est surtout le cas dans des commandes plus complexes, où plusieurs enjeux et acteurs se croisent, où un appel à projets d’architecture souvent inclut, plus ou moins implicitement, une recherche de stratégie pour aborder cette complexité, trouver des terrains d’entente entre des intérêts différents qui réclament leur droit sur l’espace. Je partage les réflexions ci-dessous dans l’espoir de voir le processus de concours évoluer.
Un concours doit permettre de sauvegarder trois intérêts : celui de la maitrise d’ouvrage, celui de la maitrise d’œuvre et celui de la qualité des villes et de la pratique en général. Les processus actuels semblent perdre cet équilibre, certains intérêts de la maitrise d’ouvrage prennent beaucoup de poids et déséquilibrent la balance.
Du point de vue des équipes participantes, les concours sont un exercice d’équilibre entre opportunité et risque. Ils offrent un terrain d’expérimentation pour développer ses propres visions en temps court. Les stratégies et solutions formulées pendant des concours nourrissent souvent d’autres projets par la suite et enrichissent la pratique des bureaux d’étude. Ils requirent pourtant beaucoup d’investissement et de versatilité de la part des équipes : un engagement suffisant pour permettre d’entrer dans son rôle et d’incarner la vision proposée, et en même temps, un pragmatisme suffisant pour gérer la nature hypothétique de l’exercice, tenant compte qu’un concours sur invitation donne aux équipes présélectionnées un taux de réussite courant de 20%, au mieux de 30%. Participer à un concours est passionnant et éreintant, cela produit comme cela dévore d’énergie.
Si on extrapole cette énergie investie à la totalité des équipes, et à la totalité des concours, l’image d’un processus fort en gaspillage d’intelligence émerge (à côté d’un tableau quelque peu triste imaginant des douzaines des gens, à la veille d’une échéance d’un concours, se penchant sur le même sujet en isolation). Cette image questionne si le sujet, future institution, infrastructure publique, ou autre, ne peut pas mieux profiter de toute cette intelligence professionnelle autrement qu’en la mettant en concurrence puis en rejetant la plupart.
Les exemples suivants tentent d’illustrer quelques points d’attention typiques qui pourraient créer des entrées pour recadrer le processus :
Si au bout du compte il s’agit de la vision, peut-on économiser sur les détails ?
Les exigences des concours de conception architecturale sont très hautes. Cela vise à réduire les risques pour les phases suivantes du projet, à garantir la performance technique et le contrôle du budget, et à minimiser le risque de complications juridiques d’un processus. Les livrables visent ainsi à un projet ‘objectif’, complet et détaillé. Ceci s’approche pour la plupart au niveau d’un avant-projet, ce qui augmente le risque financier pour une équipe participante, parfois même pour l’équipe attribuée, pendant que les indemnités des concours restent en général basses. Mais les finances ne sont pas la question centrale ici. Même si chaque proposition était rémunérée correctement, il est question de savoir si le degré de détail requis est significatif et proportionnel au stade précoce du projet.
Cette tendance a augmenté dans le temps : si on compare avec d’anciens projets de concours qui ont été gagnés et qui ont conduit à des projets réussis (au sein de 51N4E où je suis active, mais ailleurs également), le même dossier de 15-20 ans serait aujourd’hui simplement disqualifié, car trop vague, développant qu’une vision, ne couvrant pas tous les éléments requis aujourd’hui en détail, budget, cela serait perçu comme n’étant pas suffisamment achevé.
Les soucis de contrôle de risques sont plus que compréhensibles notamment pour les fonds publics, cependant le fait est qu’au bout du compte, la sélection pour tous les concours que j’ai pu observer est faite sur base de la vision. Autrement dit, une proposition doit être complète pour se qualifier pour évaluation, mais comme il est naturel, elle n’est jamais choisie à cause de son élaboration fine ; c’est la correspondance des visions, c’est-à-dire l’alchimie entre les préoccupations de la maitrise d’ouvrage et celle du fournisseur de services qui compte après tout.
Si ce qui est recherché est un partenaire de projet, peut-on s’assurer d’entrer en dialogue ?
La procédure classique d’un concours résulte dans un document déposé, accompagné peu après d’une présentation orale de la proposition. À la suite de l’oral a généralement lieu un bref moment d’échange en direct. Cela semble être exactement ce qu’il faut faire, mais la manière dont ceci est organisé est contre-intuitive : le document déposé est en général déjà très complet avec vision, narration, stratégie de projet, conception, méthodologie, solutions techniques, estimatives, etc. La présentation orale doit reprendre cela à nouveau, mais en résumé. Pour ne pas répéter, il faut reformuler, sélectionner (basé sur ce que les concepteurs jugent qu’il faut faire ressortir) ; cela pour ensuite entrer dans un tour des questions avec le jury et se rendre compte que ses préoccupations peuvent résider légèrement ailleurs qu’imaginé. Certaines hypothèses que l’on croyait claires ne le sont pas de la même manière pour tout le monde. Certains membres du jury peuvent avoir mal compris un aspect de la proposition ou simplement n’ont pas eu le temps d’intégrer toutes les informations et comptent sur la présentation orale et la discussion pour leur procurer un résumé qui leur permet de rattraper le fil. Une décision sera prise sur place peu de temps après, parfois basé sur la présentation orale plutôt que sur le dossier de projet.
Le besoin d’éclaircissement et d’explication semble en soi normal, faisant partie intégrante de tout dialogue. À un ping, il y a un pong (et un autre ping, et un autre pong). Un bon interlocuteur ne dira pas uniquement ce que son partenaire de dialogue pense et sait déjà, mais essaiera d’élargir, d’ouvrir des pistes nouvelles, et même de mettre en doute certains aspects du sujet basé sur sa propre vision et expertise. D’autres peuvent avoir des questions, des doutes, qui méritent d’être clarifiés, d’où peuvent venir de nouvelles idées cruciales pour chacun. C’est le rôle du dialogue que de nous amener plus loin que là où nous sommes. Ce qui est ici paradoxal est de procédure elle-même : l’équipe présente (livrable) et présente de nouveau (oral) sans aucun retour de la maitrise d’ouvrage et du jury. Quand le moment vient de partager ces remarques, c’est un peu tard et très rapide, une équipe a un temps donné d’un quart d’heure pour éclaircir quelque chose qui a pris quelques centaines d’heures de travail à être développé. C’est un ping, et de nouveau un ping, et puis un po- et le jeu est fini.
Peut-on affiner le processus pour le garder durable ?
Une illustration rapide d’un processus légèrement différent que celui au-dessus qui permet une sélection plus graduelle et un dialogue plus effectif : Imaginons que les équipes sélectionnées déposent leurs propositions. Le jury les étudie et répond dans une note qui esquisse leur compréhension et appréciation de chaque proposition, mais la met également en question, formule ses questions et préoccupations. Puis l’équipe est invitée de présenter le projet oralement, avec maintenant l’occasion d’aborder ces préoccupations et d’éclaircir ces questions.
Si cela implique trop d’effort pour un jury de se plonger ainsi sur un tel nombre des propositions, on pourrait imaginer de répartir le volume en cours de route. Une sélection par exemple de 5 équipes peut être faite sur base de la capacité et d’une note de vision de l’équipe, à qui l’on demande ensuite d’élaborer leur vision en un concept, suivi d’une discussion qui se focalise sur les choix de projet essentiels. S’il n’y a pas une proposition qui ressort déjà, une sélection plus limitée d’équipes pourrait être invitée à détailler leurs propositions afin d’entrer un tour plus approfondi, plus technique autour d’un avant-projet.
En plus ou moins la même enveloppe temporelle et financière pour la maitrise d’ouvrage, une telle modification de processus permettrait pour une implication globale plus légère pour les équipes, une compensation plus correcte de travail de conception détaillé, et, le plus important, un processus plus interactif, plus graduel et avec plus de soupapes de sécurité pour tous : est-ce que l’équipe est compétente pour réaliser ce projet ? Nos visions, riment-elles ? Et finalement : est-ce que notre dialogue marche ?
Peut-on faire des concours un lieu sûr pour l’innovation ?
Ils existent ou émergent déjà plusieurs formes et variations de processus au niveau international d’où apprendre, avec des « dialogues compétitifs », tours d’entrevues pendant le stade de sélection, etc. ; si on regarde les processus existants en Belgique et ailleurs, arriver à résoudre les difficultés décrites ci-dessus avec les procédures actuelles semble un objectif réalisable. Cela ne semble pas nécessiter pas de modifications substantielles de ce qui est déjà là, un affinement pourrait déjà faire toute la différence.
Une évolution quelconque serait plus que bien venue. Si la procédure ne s’actualise pas, il existe un risque réel de démotivation des équipes, elles pourraient s’abstenir de tenter de participer à un trop grand nombre de ces compétitions parce qu’elles ne peuvent pas supporter la charge, ou pire encore, elles pourraient s’éloigner complètement des marchés publics parce que ceux-ci n’offrent pas de conditions de travail saines ; (ou, si l’on n’a pas ce luxe de choisir et que l’on dépend des marchés publics, avoir recours à des pratiques douteuses telles que l’exploitation de jeunes travailleurs motivés et bon marché pour compenser).
Il est crucial de conserver les missions publiques comme moteurs de l’innovation, et il devient urgent de maintenir la motivation des équipes pour les marchés publics, de ne pas rendre la procédure punitive alors que ce sont ces mêmes missions qui, en fin de compte, façonnent les biens communs de l’environnement urbain et méritent un maximum d’intelligence et d’attention.
Le contexte belge a déjà produit d’importantes innovations dans la culture des concours, a eu depuis longtemps le réflexe et la capacité de passer des “concours ouverts” à des processus en deux étapes, et présente aujourd’hui déjà une diversité intéressante de formats. Il doit être possible de franchir une nouvelle étape en renouvelant – ou simplement en diversifiant – les processus, en les évaluant et en les pilotant pour mieux servir les multiples objectifs. Face aux questions urbaines complexes et à leurs équilibres délicats, cela ne pourra qu’aider tout le monde à avancer. Ping?