Publié le 18.11.2022 | Texte: Philippe De Clerck

[Par] les grandes transformations socié­tales du moment, dont beaucoup ont éga­lement une dimension spatiale […] l’archi­tecture va au-devant de grands défis. Pour l’instant pourtant, elle semble surtout tâ­tonnante. » Cette phrase de l’introduction de l’Architectuurboek Vlaanderen no 15 est rafraîchissante dans son ouverture au doute et au questionnement, en ces temps peuplés de sempiternelles « crises » sociales et écologiques, sanitaires et éco­nomiques, qui ne se suivent plus, mais se répondent. C’est aussi là que les « al­liances » du titre présentent une portée programmatique enthousiasmante. Avec « la réalité », comme le complète le titre d’une manière poétique, quoique floue, mais aussi très concrètement par la re­cherche de démarches collectives qui explorent des réponses durables à ces transformations.

Des constats pertinents et de belles am­bitions, donc. La sélection et les lectures de projets proposées par la suite peuvent toutefois étonner. Il semblerait qu’il faille justement, pour appartenir au sérail des projets publiés, avoir fait beaucoup et dou­té peu. Étrange pour une discipline dite « tâtonnante ». Qu’il s’agisse souvent de projets à l’intelligence spatiale et aux qua­lités architecturales indéniables n’est pas la question. On y trouvera même quelques projets exemplaires, modestes et précis, que ce soit dans les solutions formelles ou dans leur attention au vivre-ensemble, au territoire et à ses activités. Mais sans pour autant faire place dans les descriptions à l’hésitation. Comme souvent dans ce type de catalogue, les architectes sont présentés comme ayant su, maîtrisé et fait. Il semble­rait donc à première vue que l’industrie de l’architecture d’auteur se porte plutôt bien.

C’est dans les essais que les « alliances avec la réalité » deviennent des sujets plus explicites. Les essais photographiques de Miles Fischler et Sepideh Farvardin, insérés en interludes, en paraissent mal­heureusement anecdotiques, comme une tentative de compensation pour la place limitée du vécu et de l’usager dans la présentation des projets, malgré une ambition évoquée en ce sens. Les essais écrits donnent la vraie portée critique à l’ouvrage, d’autant plus intéressante par la diversité et l’accessibilité des textes. On regrettera d’autant plus qu’ils soient à ce point isolés du « catalogue » qui reste le cœur de l’ouvrage, comme pour consti­tuer leur propre livre dans le livre qui ne mobilise que très occasionnellement les projets présentés précédemment avec tant d’assurance.

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Il en découle un livre fragmenté, dans lequel se côtoient des ambitions qui peinent à s’unifier. Le décalage entre un discours critique qui n’a de cesse de par­ler, souvent avec brio, d’écologie, et une pratique constructive où les réalisations véritablement pionnières restent rares, n’a en soin rien de nouveau. L’ouvrage a néanmoins cela d’intéressant qu’une même insatisfaction est évoquée par le comité de rédaction lui-même. Lors de son arpentage méthodique du territoire, à la visite des projets candidats, il constate beaucoup de promesses non tenues, peu de bâtiments « vraiment durables ». On aurait aimé voir une bien plus grande place donnée à l’explicitation de cette déception, à ce sujet qui fâche.

Le comité de rédaction en vient à se demander en introduction « si la meilleure solution ne serait pas un tournant radical, dans lequel la construction neuve n’est plus une évidence » ? Il faudrait sans doute étendre cette question : qu’est-ce alors qu’une pratique véritablement tâtonnante, à la recherche de nouvelles approches ? Une pratique qui ne construit plus, ou plutôt qui redéfinit l’acte de construire ? Quelle place trouve-t-elle dans la culture architecturale et pourquoi semble-t-elle fi­nalement si absente ici (malgré l’essai, per­tinent, mais bien trop court, de Maarten Desmet) ? Et comment lui donner voix dans une culture de l’architecture qui reste trop souvent conçue et représentée comme « réponse », et non comme un pro­cessus peuplé de questions, d’incursions, de tentatives, de tiraillement, y compris, voire surtout de la part des architectes eux-mêmes ?

On peut regarder avec grand intérêt cet Architectuurboek Vlaanderen comme un ouvrage qui exprime dans sa structure même ce temps de l’incertitude. Il semble lui-même se questionner, avec raison, sur la manière dont il souhaiterait parler d’ar­chitecture, pris, comme il se l’avouait déjà dans les éditions précédentes, entre son ambition critique d’encourager l’architec­ture de demain, et sa mission de cataloguer l’architecture d’aujourd’hui.

Flanders Architectural Review N°15.
Alliances with the Real

Compiled by Flanders Architecture Institute, 2022
Editor Sofie De Caigny

Authors Livia de Bethune, Sofie De Caigny, Maarten Desmet, Fabian De Vriendt, Hülya Ertas, Marleen Goethals, Petrus Kemme, Marc Martens, Mark Pimlott, Martino Tattara, Kiki Verbeeck
Design Ward Heirwegh Marie Sledsens

ISBN 9789492567277
Info vai.be

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