Architecture, habitants, politique
Depuis 2010, les « Inventaires » de la « Cellule architecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles » dressent tous les trois ans un portrait de la culture et de la production architecturales en Wallonie et à Bruxelles. Après un « open call », la rédaction est chaque fois confiée à une nouvelle équipe, avec une vision qui lui est propre. Contrairement au Nederlandse jaarboek ou à l’« Architectuurboek » publié en Flandre tous les deux ans, les « Inventaires » se suivent mais ne se ressemblent pas en termes de forme, de contenu ou de critères. Au-delà des architectes, « Inventaires #3 » donne (également) la parole à des utilisateurs et des habitants.
Si le numéro zéro paru en 2010 sous la rédaction de Maurizio Cohen et Chantal Dassonville offrait encore une sorte de point zéro de l’état de l’architecture à Bruxelles et en Wallonie, toutes les éditions qui ont suivi se basaient sur les envois d’architectes et de commanditaires. L’édition #1 – 2010-2013, sous la rédaction du collectif Orthodoxe, opérait sa stricte sélection selon cinq thèmes, traités dans des essais. L’édition #2, dont la rédaction était confiée à Anne-Sophie Nottebaert et Xavier Lelion, mettait principalement l’accent sur les rapports entre architecte et commanditaire. Dans ce numéro, la bande dessinée jouait un grand rôle.
Ce qui frappe dans l’édition « Inventaires #3 », c’est la question posée en lettres majuscules sur le bandeau : « Selon vous, l’architecture, c’est politique ? » Les membres de la rédaction Gilles Debrun et Pauline de la Boulaye ne font évidemment pas référence à la « politique politicienne », mais à la politique avec un grand P. La politique en tant que projet de société susceptible de s’attaquer aux défis du climat, de la protection de la nature ou du développement durable. Si la construction joue à leurs yeux un rôle évident dans ce contexte, les professionnels n’ont pas l’apanage des idées, qui peuvent également être glanées auprès des habitants, des utilisateurs et des passants.
C’est ce credo qu’ils ont mis en pratique en collaborant avec le collectif d’artistes « Habitant.e.s des images ». À quatre endroits, ils ont organisé des discussions avec des habitants et des utilisateurs à propos de la qualité et de la valeur d’exemple des projets. Résultat : 45 projets sélectionnés. C’est remarquable, étant donné que de nombreux candidats pressentis comme favoris manquaient à l’appel. En outre, cette sélection compte un nombre relativement élevé d’habitations individuelles et collectives – beaucoup plus que son pendant flamand. L’accent y est indubitablement mis sur la cocréation et la collectivité. En outre, la publication se penche également sur 45 « actions » remarquables telles que des installations, expositions et constructions expérimentales.
Les commentaires et les expériences des participants à la discussion – qu’ils soient professionnels ou non – lors du roadtrip de la rédaction constituent le fil rouge de l’ouvrage. La « pensée unique » des architectes est souvent émaillée de réflexions rafraîchissantes, parfois brutes et souvent spontanées, d’habitants et d’utilisateurs. On obtient ainsi une autre idée de ce qu’est la « bonne architecture » : moins focalisée sur la perfection d’un détail ou la mise en œuvre ingénieuse d’un matériau, et davantage axée sur l’utilisation et la reconnaissabilité.
Les rédacteurs n’aboutissement pas à une idée clairement définie de ce que l’architecture d’aujourd’hui peut apporter au projet de société. Ils proposent des idées et des exemples de ce qui constitue votre quotidien, à vous, lecteurs. La publication ouvre le débat sur ce que doit être la bonne architecture aujourd’hui, sans le clore par des recettes et des recommandations. Il s’en dégage toutefois clairement que pour les rédacteurs, l’architecture doit tendre au-delà de l’idéal de l’« œuvre parfaite » qui obsède depuis toujours les architectes. On en prend bonne note !
« Inventaires / Inventories #3 »
Gilles Debrun et Pauline de la Boulaye (réd.),
édition bilingue (FR/EN) publiée par la Cellule Architecture de la FWB, Bruxelles, 2020.
ISBN 978 2 930705 40 8.