Publié le 20.04.2023 | Texte: Pieter T’Jonck

Le livre Woon(on)betaalbaarheid: het is wat het is? (Trad. litt. : L’(in)abordabilité du logement: c’est ce que c’est ?) de Filip Canfyn s’appuie sur une série d’études approfondies de la littérature, sur de multiples calculs et quelques considérations sociologiques sur le « flux souterrain » sociologique flamand pour expliquer pourquoi on parle de crise du logement en Flandre, ou en tout cas de crise des prix du logement. Tout a commencé au moment où la politique du logement, au début des années 1990, a cessé de penser au logement en termes d’habitat décent pour toutes et tous, et s’est mise à raisonner en termes d’« immobilier » et d’investissements. La crise du logement est aujourd’hui comme le canari dans une mine de charbon, dans une dualisation de la société entre nantis et démunis. L’ouvrage formule des solutions probantes, mais dont les chances de concrétisation sont malheureusement quasi nulles.

Un quart du livre est consacré au premier chapitre, contenant à la fois l’hypothèse de travail et une étude de la littérature. Il expose les faits. Depuis les alentours de l’an 2000, les prix de l’immobilier ont flambé parce que les acheteurs proposaient des prix toujours plus élevés. Et ces acquéreurs n’étaient plus uniquement des personnes ayant envie de construire, mais aussi des investisseurs. C’est leur pouvoir d’achat qui détermine le prix du marché, et non l’inverse. Les prix ont fortement augmenté en parallèle à la hausse du pouvoir d’achat déclenchée notamment par des taux bas. Ledit pouvoir d’achat n’a toutefois pas augmenté dans les mêmes proportions pour tous les groupes de population : les quintiles de revenus les plus bas (Q1 et Q2), restés à la traîne, doivent généralement renoncer à devenir propriétaires de leur habitation. Ils sont souvent confrontés à un marché locatif privé défaillant et à une offre de logements sociaux trop restreinte. Le groupe de revenus modérés Q3, lui aussi, est en difficulté. Seuls les quintiles supérieurs (Q4 et Q5) trouvent leur bonheur auprès de promoteurs qui déterminent de plus en plus les règles du jeu.

Le petit exercice de calcul auquel se livre Filip Canfyn au chapitre 4 est particulièrement intéressant. On y constate que pour un petit appartement (90 m² nets), il faut compter environ 200.000 € pour l’achat du terrain et la construction. À cela s’ajoutent de nombreux frais. L’auteur compte 10% d’honoraires, 2% d’intérêts intercalaires, 3% de frais de vente et 15 % de bénéfice et de frais généraux du promoteur. (Aux Pays-Bas, ces pourcentages sont très différents : 18 % d’honoraires – soit environ le double –, 8% d’intérêts intercalaires et de frais de vente, et 12% de frais généraux et de bénéfice. Les promoteurs y sont donc clairement mieux lotis qu’en Belgique !) Même construire une maison coûte donc indubitablement moins cher, mais en pratique, cela semble rarement réalisable en raison de la pression sur le prix des terrains, également une conséquence de la logique de développement. En y ajoutant les 21% de TVA, les droits d’enregistrement et les frais de notaire, les 200.000 € gonflent rapidement pour atteindre 311.500 €, dont un cinquième de taxes diverses. Le calcul de l’auteur démontre que c’est inaccessible pour les acheteurs à revenus moyens (Q3) – et a fortiori à revenus modestes (Q1 et Q2).

Filip Canfyn démontre ensuite que les pouvoirs publics, malgré cela, misent quasi exclusivement sur l’acquisition d’un bien pour résoudre la problématique du logement en Flandre, et de telle manière que 3/4 de toutes les mesures de soutien bénéficient aux quintiles de revenus supérieurs. Il l’explique en s’adossant à une analyse sociologique : la « classe moyenne », qui définit l’image que les Flamands ont d’eux-mêmes, a une tache aveugle (voire une peur panique) qui l’empêche de discerner les problèmes qui minent les classes sociales les plus basses. C’est une des parties les moins convaincantes et les plus faiblement étayées du livre. En revanche, les conséquences de cette politique esquissées par Filip Canfyn sont convaincantes. Elles menacent notamment l’amélioration énergétique du parc immobilier, ainsi que le fonctionnement des villes dans le cas où les travailleurs clés ne pourraient plus se permettre d’habiter là où ils fournissent des services essentiels. Les conditions dans lesquelles de nombreuses personnes vivent actuellement semblent elles aussi socialement inacceptables.

Mais quelles sont les solutions ? Filip Canfyn calcule d’abord des méthodes de financement alternatives, comme les coopératives d’habitat. Il arrive à la navrante conclusion que contracter un emprunt hypothécaire pour acheter un bien reste encore et toujours la formule la plus avantageuse. En l’occurrence, il a toutefois bâclé son devoir. Il explique par exemple pourquoi les coopératives d’habitat ont du mal à décoller – ce modèle peine notamment à obtenir des financements parce qu’il est méconnu, et donc peu prisé – mais omet de préciser qu’au cours d’une période de référence, un propriétaire est confronté à des frais d’entretien parfois élevés. Un coopérateur, en revanche, n’y sera pas soumis. Il oublie tout autant de mentionner qu’une fois qu’elles atteignent suffisamment d’ampleur, les coopératives exercent un effet fortement modérateur sur la spéculation foncière.

Ce que Filip Canfyn tente de démontrer, c’est que les initiatives de ce genre sont une goutte d’eau dans l’océan tant que les pouvoirs publics ne changent pas leur fusil d’épaule en doublant le parc de logements sociaux, en mettant immédiatement un terme aux primes au logement, et en investissant ces montants pour renforcer le marché locatif et augmenter les opportunités d’achat d’habitations modestes. Les autorités devraient par ailleurs exercer davantage de pression sur le secteur privé pour contrer la spéculation foncière et construire davantage pour les revenus modestes, tels que les travailleurs clés.  Elles devraient en outre plus investir dans la rénovation énergétique des habitations des groupes sociaux plus faibles, par exemple en la prenant elles-mêmes en charge en échange du terrain sur lequel se trouve l’habitation. À terme, cela renforcerait la position foncière de ces pouvoirs publics, et donc sa force de frappe. Mais tant qu’ils continuent à considérer le logement en termes d’immobilier plutôt que comme une nécessité de base et un droit fondamental, Filip Canfyn estime que ces mesures n’auront que peu de chances d’avoir un impact.

Le mérite de ce livre n’est pas de nous apprendre de nouvelles choses : ces données sont accessibles à quiconque ferait un minimum d’efforts pour se les procurer. Par contre, il expose clairement les causes de la crise du logement – le glissement des mentalités du logement vers l’immobilier, avec pour conséquence une défection des pouvoirs publics – et pour corollaire un clivage de plus en plus visible de la société. Il faudra s’accommoder du fait que parfois, le livre s’égare un peu, tombe de temps en temps dans la répétition, est un peu décousu, ou sombre dans la sociologie amateuriste. Ce qui compte, c’est que le débat est ouvert.

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