Le patrimoine ecclésiastique d’Aldo Van Eyck
Umberto Eco a affirmé un jour qu’on pourrait résumer l’histoire de l’art (occidental) en commentant en détail un unique tableau : la Vénus d’Urbino du Titien. Dans son étude intitulée « Pastoor van Arskerk Den Haag – een tijdloze sacrale ruimte van de hand van Aldo van Eyck » (Trad. libre : église Pastoor van Arskerk de La Haye – un espace sacré intemporel signé Aldo van Eyck), Francis Strauven ne va pas aussi loin. La description exhaustive de ce bâtiment, qui occupa Van Eyck d’octobre 1963 à fin 1969, révèle toutefois de manière pointue à la fois la philosophie de Van Eyck et l’époque à laquelle ce projet a vu le jour.
Francis Strauven débute son opus par l’histoire d’un architecte qui, bien que non croyant, s’est malgré tout vu confier la construction d’une église catholique dans la banlieue de La Haye, près de la plage Kijkduinstrand. À l’époque, l’architecte travaillait également sur un projet d’église protestante à Driebergen. Ces « Wheels of Heaven », dont la construction n’a jamais été concrétisée, avait attiré beaucoup plus l’attention que l’église de La Haye. Francis Strauven soutient qu’en dépit de similitudes apparentes, l’église de La Haye est digne d’intérêt et a son propre sens.
Il le démontre avec brio dans le second volet particulièrement passionnant de son ouvrage. S’adossant à des descriptions dynamiques bien que très détaillées, toujours complétées par des photos, il nous emmène à la découverte du bâtiment. C’est ainsi qu’on apprend pas à pas comment Van Eyck a associé l’innovation typologique à une plongée dans les profondeurs du catholicisme, qui se trouvait précisément à un tournant de son histoire : le Concile Vatican II réorientait la doctrine de l’Église vers des idées plus proches des débuts de la Chrétienté. Concrètement, à partir de ce moment-là, les messes ne sont plus célébrées en latin mais dans la langue du peuple, on accorde plus d’attention à la parole, et le curé s’adresse directement à ses fidèles. Van Eyck doit avoir intuitivement bien compris l’enjeu.
Par ailleurs, il affichait une connaissance approfondie de la construction d’églises en Europe. Pourtant, son projet réorganise la disposition classique d’une église avec un porche, une nef, un transept et un chœur avec autel. De l’extérieur, son église est un volume très fermé de quelque 40 m de long sur 27,5 m de large. Légèrement plus loin que le milieu de la façade longitudinale, un volume étroit s’élève bien au-dessus du volume de base. À l’extrémité nord-ouest se trouve une deuxième surélévation, moins haute. Ce n’est qu’en entrant dans l’édifice qu’on constate que la première élévation marque une allée qui le traverse, avec à gauche et à droite des espaces ressemblant à des cryptes. À droite, c’est la salle de l’église, et à gauche, la salle communautaire.
L’allée qui traverse le bâtiment, que Francis Strauven appelle la « via sacra », est ponctuée de chapelles circulaires. Elle ressemble à la nef d’une église classique, dont elle diffère toutefois par le fait qu’au lieu de mener jusqu’à l’autel, qu’elle le longe. Ce parcours allant de l’entrée à la sortie fait passer par les lieux de dévotion. Par cette disposition, les fidèles et le curé suivent le même chemin pour accéder à la salle de l’église. On remarquera en particulier la lumière dans ces espaces : elle pénètre par le haut, via de gigantesques cylindres posés à cheval sur les poutres de la charpente. On notera également le jeu subtil des différences de hauteur du sol et des vues traversantes, qui créent un espace où le regard peut se perdre dans l’infini mais qui invite sans équivoque à la contemplation.
Ensuite, par une étude détaillée des innombrables avant-projets, Francis Strauven montre comment Van Eyck a progressivement peaufiné ce projet, des premières esquisses aux dessins définitifs joints au devis. Aux esquisses originales, il a également ajouté des simulations 3D des premiers avant-projets. Celles-ci montrent clairement l’évolution de la qualité du projet. Il complète le tout par un historique de réception. C’est ainsi qu’on apprend que le bâtiment a été sauvé de justesse après le déclin de la communauté des fidèles catholiques à La Haye. Et on ne peut que s’en féliciter, vu que Francis Strauven démontre dans son ouvrage que ce bâtiment peut bel et bien être considéré comme un élément du patrimoine.
Francis Strauven présentera son livre le 28 mai 2023 à 12h00 à la Pastoor van Arskerk (Aaltje Noordewierstraat 6, 2551 GA La Haye). Cette présentation vous plongera dans l’histoire de l’église où elle se déroulera. M. Christiaan Steenbergen, au nom de la communauté Ars, prendra la parole pour introduire l’auteur, ce qui promet une présentation de qualité et des échanges passionnants. Si vous souhaitez participer, il vous suffit de signaler votre présence à l’adresse e-mail suivante : pastoor.van.ars.kijkduin@gmail.com.
Pastoor van Ars Church The Hague – a timeless sacral space by Aldo van Eyck, Francis Strauven, 2022. Édité par Verlag der Buchhandlung Walther und Franz König, Köln and ACP, Brussels. ISBN 9783753303055. Prix conseillé 29,8 €