Sauvegarde d’un palimpseste. L’appartement- atelier de Le Corbusier
«C’était un péril pour moi d’aller habiter ma propre architecture. Au vrai, c’est magnifique».1
Comment peut-on restaurer une œuvre conçue comme un chantier permanent ? Comment définir la pertinence d’une étape, d’une phase, d’un moment de la vie de celle-ci quand on sait qu’elle a servi à son créateur comme terrain de recherche et d’expérimentation ? Comment analyser une architecture qui se dévoile – selon les termes des auteurs de la publication – comme un palimpseste, une sorte de plongée archéologique où on doit étudier les strates et les documents, tenant compte que chaque époque nous offre une lecture significative pour comprendre l’œuvre de Le Corbusier. Et enfin, comment intervenir dans une réalisation qui désormais représente avec autres 18 projets une des plus récentes acquisitions du patrimoine mondial de l’Unesco.
Toutes ces questions apparaissent dès les premières pages de cette publication rigoureuse et riche de documents. Et on comprend vite qu’il y a des livres qui nous marquent car ils nous ouvrent l’esprit et nous proposent des méthodes de travail. Que ces livres vont prendre une place visible dans les étagères de la bibliothèque pour y revenir souvent.
Dans ce cas, l’appartement – atelier de Le Corbusier, nous sommes face à une question actuelle et qui nous demande de prendre position. Comment intervenir sur ce qui est aujourd’hui accepté comme ‘patrimoine’, comment aborder la question de l’état auquel on va le reconstituer et fixer.
La restauration est un témoignage ou une prise de conscience ? Cette appartement – atelier ne sera plus habité mais comment va-t-on le restaurer ? Le livre parcourt l’histoire de ce lieu emblématique et retrace les passages qui suivent le décès de Le Corbusier. Les utilisations successives et les interventions de restauration sont également abordées pour aboutir à des recommandations et des lignes guides méthodologique pour le projet entamé par la Fondation Le Corbusier en 2015.2
Situé au sommet du célèbre « Immeuble Molitor » de la rue Nungesser et Coli n° 24, le duplex qu’habitait Le Corbusier est comme une maison posée sur un toit. Autonome et libre dans ses formes. Adaptable aux souhaits de son créateur qui expérimente sur son propre foyer des solutions d’espace et de composition, de couleur et d’équilibre. L’historique du projet du bâtiment nous révèle de nombreux avant-projets qui montrent la variété d’hypothèses et la richesse de la recherche architecturale corbuséenne. Loin des polémiques des années récentes, ce livre nous plonge dans le métier de l’architecture, nous rappelle comment au-delà la des principes et des mots d’ordres qu’on attribue à l’architecture moderne, il s’agit surtout d’une recherche, plastique et matérielle, spatiale et poétique.
Franz Graf et Giulia Marino nous offrent une lecture minutieuse une analyse architecturale et matérielle qui aborde tout détail et toute hypothèse. La séquence du récit passe en revue chaque espace et leur transformation, soutenue par un apparat iconographique d’une étonnante richesse.
Les dessins se mélangent aux courriers, les nombreuses prises de vue aux interviews et aux portraits célèbres que ses amis photographes réalisent dans l’espace intime de l’atelier.
Le résultat est une plongée dans l’histoire de la modernité, de ses phases et ses hésitations, les expérimentations et les erreurs mais aussi ses ambitions et les visions. Le récit nous emmène de la période ‘puriste’ à celle ‘brutaliste’ au travers de ses transformations matérielles et de l’évolution de la pensée de l’architecte qui, malgré tout, continue à nous raconter le XXe siècle.
1 Le Corbusier, lettre à sa mère 29.04.1934.
2 La restauration a été réalisée par l’agence de François Chatillon, Architecte en chef des Monuments Historiques, entre 2015 et 2018. Le projet reconstitué est l’état de 1965. La maison-atelier a ouvert au public en Juin 2018.